LE PERIDOT ET L’HUMAIN DÉCOUVRENT LE POUVOIR DE LA FANTAISIE
Chaque heure qui passait, chaque jour et chaque nuit, le Violet et l’humain apprenaient à se connaître un peu plus. Au bout d’une semaine, Kee avait bien grandi. « Il pourra bientôt m’aider à faire des tâches plus complexes », pensa l’humain. Mais en attendant, l’humain s’occupa d’explorer ce qui s’étendait au-delà de leur petite clairière. La nourriture se faisant rare, il décida de sortir du bois temporairement, pour trouver un endroit plus verdoyant.
Il s’éloigna, laissant Kee se débrouiller seul. Rapidement, le petit monstre s’ennuya. Il n’avait plus personne avec qui jouer. Les écureuils étaient partis plus loin dans la forêt, et les colibris n’avaient plus de fleurs pour se nourrir. Le Violet fit quelques tours en l’air, mais il s’arrêta rapidement : avoir la tête qui tourne en étant seul n’était pas aussi amusant qu’il le pensait.
Impatient de retrouver son ami, Kee décida de s’aventurer dans la même direction que lui, mais il ne se souvenait plus par où il était parti. Au nord, au sud, à l’est ou à l’ouest ? Au hasard, Kee choisit de prendre la direction de l’est. Il emprunta un sentier ponctué de rochers pointus.
À mesure que la nuit tombait, le Violet était de plus en plus saisi d’angoisse. Il était perdu, et il ne reconnaissait pas cette partie de la forêt. Il n’avait jamais été seul dans le noir. En y repensant, il n’avait même jamais été seul tout court. Devait-il revenir sur ses pas ? Certainement pas : l’obscurité était encore plus profonde derrière lui que devant. Dépourvu de voix, il ne pouvait pas appeler au secours. Il trouva un grand chêne et se blottit contre son tronc noueux, tremblotant à l’idée de devoir passer la nuit seul.
La faim et le froid le tenaillaient, et il se demandait comment il allait survivre toute la nuit. Allait-il même voir un nouveau jour se lever ? La peur l’assomma si fort qu’il se sentit soudain très las. Il était fatigué, mais pas assez pour dormir. Chaque mouvement lui prenait deux fois plus de temps qu’à l’ordinaire. Puis trois fois plus. Et quatre fois plus…
Alors que Kee était sur le point d’abandonner tout espoir, il entendit une voix au loin. Le matin était enfin arrivé, et les premiers rayons du soleil montraient le chemin de l’orée de la forêt jusqu’au grand chêne. L’humain le suivit jusqu’au Violet, qui s’était lové au milieu des racines. Il étreignit son ami chaleureusement, lui chanta des mélodies pour le calmer et le berça jusqu’à ce qu’il se sente en sécurité.
Le Peridot posa un regard affectueux sur l’humain, mais il se sentait toujours aussi faible. Son ami lui proposa du varech et des betteraves-cactus qu’il avait trouvés au cours de son périple, mais Kee refusait d’avaler quoi que ce soit. L’humain lui caressa le ventre, et même s’il sourit et mangea quelques baies, le Peridot semblait encore abattu et léthargique.
L’humain blottit Kee contre sa poitrine et se dépêcha de retourner au campement, où il s’occupa du Peridot sans discontinuer, jour et nuit. Il le nourrit, le caressa entre deux repas et ne le quitta pas un instant. Un ami pour la vie, voilà ce que le Violet vit en l’humain. Un compagnon de route, quelqu’un pour prendre soin de lui, un gardien. Un véritable partenaire.
Un matin, un bruissement extirpa l’humain de son sommeil. Il se tint prêt, s’attendant à voir un loup, un ours ou une autre bête sortir des buissons. Mais ce n’était que Kee, tout content et enfin rétabli. Il tenait dans sa main une cébette qu’il offrit à son ami. L’humain n’osa pas la manger seul, car le Péridot était aussi affamé que lui. Il la coupa en deux, lui en offrit une moitié et mangea la seconde.
L’amertume du légume lui arracha quelques larmes, mais il rassura son ami : couper des oignons le faisait toujours pleurer un peu, et le reste n’était que des larmes de joie.
Note du conteur :
Ni le Peridot ni son ami humain ne parvinrent à comprendre pourquoi le Violet avait réagi ainsi. Mais d’autres Peridots, au fil du temps, se sentirent également vidés de toute énergie. Bien que très rare, ce comportement semblait lié au fait que leur compagnon humain ne s’occupait pas suffisamment d’eux : ne plus leur prêter attention, c’était les forcer à emprunter un chemin sans vie, avec des conséquences bien plus graves si l’humain finissait par les abandonner complètement.
D’après les Anciens Peridots de l’ère Tyrionique (environ 700 ans avant notre ère), la fantaisie est indispensable aux Peridots, sans quoi ils ne peuvent pas se reproduire et diversifier leur espèce. La fantaisie est une mystérieuse force magique qui assure l’équilibre du monde des Peridots. Elle rend l’univers heureux, et les personnes qui y vivent encore plus heureuses. Dans les moments les plus difficiles, où les humains ne se préoccupent pas des autres, elle disparaît. Une fois ces périodes passées, elle refait progressivement son apparition. Les grands penseurs supposent que la fantaisie est un esprit collectif lié aux humains. Plus ils sont généreux envers les autres (humains ou non), plus ils encouragent le développement d’autres espèces.
Cet esprit collectif est également connu pour produire des effets néfastes. Si les humains arrêtent de s’occuper des Peridots, alors, au fil du temps, l’espèce entière entre dans une hibernation qui peut durer plusieurs siècles ! Ces créatures sont extrêmement sensibles. Il est de notre responsabilité de nous en occuper avec sagesse.
Sachez, cher lecteur, chère lectrice, qu’au moment où j’écris ces lignes, la fantaisie est toujours un mystère pour moi. Je ne suis ni d’accord ni en désaccord avec les Anciens Peridots. Mais ma connaissance de la métaphysique est aussi limitée que celle du monde physique. La science est pour le moment incapable d’expliquer la fantaisie, et pour autant, je crois qu’elle existe. Comme je sais que les Peridots existent bel et bien. Bien que leur existence me trouble, je trouve un véritable bonheur à découvrir des choses que je ne comprends pas complètement. Que les mystères restent des mystères ! Mon amour de ces créatures ne connaît pas de limites.
–FDS